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Emma: «Avec ma BD, les hommes m'accusent de mettre leur couple en danger»

«Les hommes se plaignent que ma BD met leur couple en danger»

Après la charge mentale, Emma s'est attaquée au sujet de la charge émotionnelle. Un travail invisible accompli, une fois de plus, par les femmes.

© Emma

FEMINA Votre bande dessinée sur la charge mentale, publiée en mai 2017, a connu un immense succès sur les réseaux sociaux. Selon vous, pourquoi cette BD en particulier a eu tant de répercussions?
Emma
Je n’arrive pas vraiment à l’expliquer, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle fasse le tour du monde. Ça faisait 6 ans que j’avais lu le terme «charge mentale» dans un article, cela me servait d’outil pour aborder le sujet dans mon couple. Une fois que l’on connaît le concept, on peut discuter de comment mieux répartir les tâches. J’avais essayé de relayer l’article, de le faire lire à mes copines, mais cela ne prenait pas. La personne qui avait écrit l’article était un homme, il avait une approche un peu théorique. Je pense que la BD, qui comprend des situations que l’on vit toutes, a plus accroché les gens grâce à cela.

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Cette BD a également changé beaucoup de choses dans votre vie personnelle, vous avez démissionné…
Oui, effectivement, j’ai quitté mon travail de salariée dans l’informatique il y a tout juste un an. À l’époque, je venais de publier mon premier livre. Il y a eu tellement de demandes après la publication sur la charge mentale: conférences, dédicaces, etc. Je n’arrivais plus à tout gérer. Et j’étais de plus en plus frustrée par mon employeur.

Comment ça?
On est relativement protégé dans le domaine de l’ingénierie, étant donné que l’on peut facilement trouver un autre travail. Néanmoins, à chaque fois que je changeais, je me retrouvais avec les mêmes contraintes qui sont des formes de micro-management: surveillance des horaires, du temps passé sur chaque tâche, injonction très forte sur les tenues à porter, harcèlement moral, etc.

On demande beaucoup aux ingénieurs de travailler le soir et les week-ends, particulièrement aux femmes qui sont à temps partiel: on doit tout de même être joignable et répondre aux mails non-stop. Cela mène inévitablement au burn-out, j’en ai moi-même fait deux. J’ai réalisé que je vendais ma personne.


© Emma

La situation sur le marché du travail est-elle en train d’évoluer?
Oui, mais dans le mauvais sens, cela empire encore. On transforme les travailleurs en esclave, au profit du fait qu’il y a du chômage. Rien n’est fait pour lutter contre ce phénomène, car c’est justement bien pratique d’avoir plein de gens qui veulent le travail. Cela devient un moyen de chantage. On augmente le temps de travail, on travaille le plus en plus le week-end, on se voit forcer à accepter des baisses de salaire, le temps de pause est drastiquement réduit, etc.

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En tant que femme, c’est encore plus compliqué?
Oui, car on n’a pas été élevées avec les outils psychologiques permettant de nous protéger de cela. On est encore davantage dans le service, on va travailler gratuitement… on est déjà habituées à cela à la maison. On a tendance à moins se défendre, on ne s’autorise pas à se mettre en colère. Les femmes ont davantage le syndrome de l’imposteur, lorsqu’on leur dit qu’elles ne sont pas douées, pas compétentes, elles le croient. On nous a toujours appris à jouer le rôle de la princesse dans l’histoire, celle qui ne sert à rien. Tout cela fait que l’on est plus susceptibles à souffrir de harcèlement moral. Mais je suis tout à fait consciente que le fléau touche également de nombreux hommes.

Sans compter que les journées actives des femmes sont loin de s’arrêter à 17h.
Effectivement, de retour à la maison, cela n’est pas fini, on travaille deux fois plus. Toutes les tâches ménagères sont encore portées par des femmes en grande majorité.

Sur Twitter, vous avez été prise à partie par des hommes qui ont été quittés «à cause de votre BD». Comment l’expliquez-vous?
Cela m’arrive assez souvent, c’est vrai. Une vingtaine m’ont écrit suite à la parution. Et des messages d’hommes qui se plaignent de se sentir stigmatisés, j’en reçois plusieurs par semaine. Au lieu de remettre en cause la façon dont ils se comportent, leur manque d’implication dans les tâches, ils me reprochent d’avoir réalisé la BD.

Ils affirment qu’elle met leur couple en danger et m’enjoignent à réfléchir à mes propos et aux conséquences qu’ils peuvent avoir sur la vie des hommes avant de publier de nouvelles choses…

Et vous leur répondez?
Non, je ne lis même pas tout. Il faudra que je fasse une planche un jour sur la conversation: les hommes prennent bien plus d’espace dans ce domaine que les femmes. Ils coupent la parole et parlent bien plus longtemps. Cela se retrouve sur Internet: les hommes écrivent toujours des mails très longs, cela peut me prendre un bon quart d’heure à lire. Je ne lis pas, car j’estime que c’est du travail gratuit qu’ils me demandent.

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Recevez-vous également des témoignages positifs?
Oui, j’en ai d’ailleurs eu beaucoup suite à mon dernier tweet. La plupart sont des hommes discrets qui ne veulent pas particulièrement parler, il n’y a pas de quoi se vanter de faire le ménage, c’est juste normal. Je trouve ça sain qu’ils ne viennent pas me le dire. Mais beaucoup ont pris le temps de m’écrire après que j’ai posté ce message, ils me disaient avoir longtemps pensé être parfaits et que la BD les avait fait réfléchir et revoir leur taux de participation et leur prise d’initiative. Ça n’est pas facile de faire cette démarche, cela demande de l’humilité. Pour moi, c’est très encourageant de recevoir ces témoignages. D’autant plus qu’ils ne le font pas pour être félicités, mais pour me soutenir.


© Emma

Votre nouvelle BD traite de la «charge émotionnelle». Quelle est la différence entre ce concept et celui de la charge mentale?
Les deux sont des ressorts psychologiques, mais le résultat de la charge mentale est concret: le linge est rangé, le frigo est plein, le rendez-vous chez le médecin agendé, etc. C’est le souci intellectuel de planifier des choses palpables. Avec la charge émotionnelle, on planifie des choses abstraites, on s’inquiète du confort et du bonheur des autres, quitte à s’oublier soi-même.

C’est encore plus invisible, car les gens ne se rendent compte ni du travail qui est effectué, ni de son résultat.

Selon vous, améliorer les choses dans notre société passe par une révolution. Qu’entendez-vous par là?
Je ne pense pas qu’un gouvernement puisse faire quelque chose pour les femmes. On est dans un système capitaliste et on a besoin de gens dociles qui acceptent de se faire exploiter au travail. Pour que cela puisse se mettre en place, d’autres personnes doivent travailler gratuitement au foyer. La révolution serait d’horizontaliser tout cela et de répartir toutes ces tâches de façon égale. Il faudrait que l’on travaille tous moins, que l’on se débarrasse des «bullshit jobs» pour passer davantage de temps sur les métiers utiles (enseignement, médecine, etc.) et avoir également plus de temps pour nos proches. Le cadre actuel prive de travail un tas de personnes et, parallèlement, étouffe ceux qui en ont.

Est-il tout de même possible de changer les choses à son échelle?
Je pense que c’est bien de changer les choses dans son foyer. Le patriarcat se compose d’un système, mais aussi de comportements, de façons de penser. On peut travailler sur la répartition des tâches, l’éducation de nos enfants. Mais cela sera loin d’être suffisant, tant que l’on n’aura pas de structures qui nous permettent de penser autrement. C’est comme pour l’écologie: les petits gestes que chacun fait ne suffisent pas à changer notre société, ça ne fonctionne jamais.

Vous avez un fils. Comment l’élevez-vous pour éviter qu’il reproduise les schémas sociétaux que vous combattez?
C’est difficile, je ne peux pas dire que j’ai la solution. Mais j’essaie de lui dire qu’en tant que garçon, il a droit à toutes les émotions. Je pense que la violence que l’on retrouve chez les hommes est due, en partie, à toutes les émotions dont on les prive lorsqu’ils sont petits. Notamment le droit à la tristesse, à la peur, à la sensibilité. On considère que ce sont des «trucs de fille» et qu’être une fille est dégradant, ce serait donc humiliant pour les garçons de s’approprier ces émotions-là. J’apprends à mon fils, au contraire, à voir ces dernières comme des forces, à les reconnaître, à les exprimer.

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Comment est née l’idée du Clitosac?
Cela fait longtemps que j’avais cette idée de créer des objets avec des dessins dessus. Mais je voulais quelque chose de féministe, qui gagnerait à être mis en avant et qui soit drôle. Le clitoris, on a longtemps voulu le supprimer pour ne pas que les femmes puissent maîtriser leur plaisir, on l’a barré du dictionnaire, on n’en parle pas à l’école… Pour moi, c’est un acte positif et politique, faire sortir dans la sphère publique cet organe que l’on a toujours essayé de cacher, de supprimer.

Quels sont les prochains thèmes que vous souhaitez traiter, qui vous tiennent à cœur?
J’en ai plein! Je viens de publier une BD sur d’autres formes de charges mentales, notamment autour de la contraception, des risques liés à la sexualité. Je parle aussi du souci de se protéger dans l’espace public, du harcèlement et du fait que l’on ne peut pas penser à autre chose lorsque l’on est dehors, on est accaparé par l’idée de «ce qui peut se passer». Je prépare également un gros sujet sur l’écologie. Le basculement climatique s’annonce tragique, mais on a la possibilité de faire quelque chose. Pas en triant ses emballages, mais en s’attaquant aux gros pollueurs. La solution est politique.

Comment faites-vous pour toujours trouver ces sujets qui sonnent si juste?
Je lis des choses que je ne savais pas. Et je me dis qu’il y a d’autres personnes qui probablement ne connaissaient pas non plus cela. Avec mes BD, je cultive d’autres angles que les médias traditionnels. Mon but est également d’apporter quelque chose en direction d’une égalité sociale, c’est pour cela que je ne parle pas de développement personnel ou de solutions individuelles. L’idée, c’est de soigner le mal à la racine. C’est mon côté informaticienne qui ressort: lorsqu’un logiciel bug, on tente souvent d’agir avec du mauvais code, ce qui crée encore plus de soucis derrière. Mais en remontant jusqu’à la base du problème, on peut le corriger et la solution se diffuse dans tous les comportements du logiciel. C’est également mon approche pour la société.


© Emma

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